Menu Close

Les vieux que nous sommes. Une perspective psycho-préventive (publique)

Version pour le publique

Introduction

La vieillesse n’est pas une maladie
Les préjugés entourant le grand âge sont fertiles et ne datent pas d’hier. Dans La revanche du troisième âge, Betty Friedan relate que lors d’un séminaire international tenu en 1983 intitulé «Health, Productivity, and Aging», (Santé, productivité et vieillissement), les conférenciers manifestaient une résistance obstinée à envisager la productivité du grand âge. En dépit du titre du séminaire, ces représentants, hauts fonctionnaires et médecin gériatres des principaux pays occidentaux, revenaient inlassablement sur les pertes, la sénilité, les maisons de retraite. «Après 65 ans, ils sont vieux et ont besoin qu’on prenne soin d’eux» répétaient-ils. Manifestement, un ensemble de stéréotypes de la part de personnes en autorité prévalaient à ce séminaire sur le grand âge.

Ici, au Québec, depuis l’avènement de la pandémie, on nous martèle à cœur de jour notre indéniable vulnérabilité. Sans nier cette vulnérabilité physiologique propre au grand âge, non seulement je ne m’y reconnais pas, mais je ne reconnais pas non plus nombre de personnes âgées de mon entourage dont la vitalité est indéniable.
Il devient donc important tant pour la santé des personnes âgées elles-mêmes que pour le bien-être de la société en général, de quitter une pensée médico-curative omniprésente, laquelle nous fait perdre de vue les processus plus larges du vieillissement.
Ces dernires relèvent de la gérontologie; ils englobent et étudient les dimensions psycho – sociales, démographiques et culturelles du vieillissement et non plus seulement les pathologies reliées à l’âge. On y préconise une approche psycho-préventive dont il sera question plus loin.
Parlant de vieillissement, le sociologue Richard Lefrançois écrit qu’il s’agit «d’une mosaïque complexe du grand âge…qui forme une trame immensément étoffée et diversifiée…, un «vieillissement différentiel». (2004).
Certains auteurs, en parlant des personnes âgées, y voient trois âges : l’âge biologique, l’âge social, et l’âge psychologique.(Sirois et Belleveville, 2017).

La pandémie et les personnes âgées.

Les taux de mortalité reliés à la Covid-19 nous interpellent sur une base quotidienne. Selon les chiffres transmis au cours du mois de mars, 80% des personnes décédées se situent dans les catégories d’âge au-dessus de 70 ans. Un 9% additionnel se situe dans la décennie qui précède. Cette tranche d’âge des 69 ans et moins qui décède de la covid-19 est composée de personnes qui souffrent de comorbidité comme obésité, hypertension artérielle et problèmes de cholestérol, etc… nous précisent les médecins français. La situation est sans doute identique au Québec, sans qu’on ait jugé pertinent de nous le préciser.
Les statistiques quotidiennes sur la pandémie ont eu le mérite de mettre enfin la lumière sur la façon dont la population des personnes âgées vulnérables a été traitée jusqu’ici par nos pouvoirs publics. Le feu est pris, on ne peut donc se cacher, ne serait-ce que par les taux de mortalité pour lesquels nous avons la palme. L’omerta longtemps préconisée comme solution au problème de la négligence à l’égard des personnes âgées en perte d’autonomie risque de s’effriter. Les pouvoir publics appellent au secours, et offrent bonifications sur bonifications monétaires pour endiguer le désastre. Aux dernières nouvelles, les démissions se multiplient.
L’histoire fera sans doute la lumière sur ce qui s’est passé, mais déjà des voix s’élèvent et non des moindres. Dans le journal La Presse, la lettre de Claude Castonguay qui parle « d’un désastre honteux» pour le traitement réservé aux personnes âgées depuis longtemps. Cette situation, pénible pour tous, ternit passablement l’image de la belle province.
Les données sur les taux de mortalité des personnes âgées en institution et sur le renflouement des ressources comportent quelques pièges dans lesquels il serait impérieux de ne pas tomber.
Le premier piège parle de l’effet de halo que les statistiques peuvent engendrer en nous faisant perdre de vue le phénomène du vieillissement de la population dans son ensemble Le deuxième piège porte sur le type de renflouement technique annoncé.

-1-Les caractéristiques de la population vieillissante dans son ensemble.

Certains auteurs parlent du lien causal entre santé psychique et santé physique. «L’actualisation de soi, c’est à dire le degré selon lequel une personne a développé son potentiel psychologique et réussit à l’exercer adéquatement, se révèle un facteur déterminant de santé physique après 65 ans » ( Leclerc, Lefrançois et Poulin).
Cette donnée ne peut être ignorée dans les circonstances actuelles de la pandémie qui nous afflige.
Le sous-groupe des personnes en perte d’autonomie qui ont besoin de vivre en institution constitue généralement 10% de la population des 60 ans et plus. La majorité d’entre nous, soit 90% des 60 ans et plus est considérée comme, soit fonctionnelle (80%), soit encore très active et en possession de sa créativité (10%).
Les données nous rappellent donc que 90% de la population des 60 ans et plus est active et contribue de façon non négligeable à l’économie et au bien être d’une société.
Elle paie ses impôts, voyage et explore la planète. Elle remplit nos salles de concert, de cinéma et de spectacles, ainsi que les bibliothèques. Elle fréquente les restaurants et les boutiques de vêtements, etc… Sans ces 90% de la population, les sphères de la culture et des loisirs feraient piètre figure. Notons que la strate des 80% dite fonctionnelle remplit une tâche de première nécessité côté bénévolat; leur confinement récent a permis de prendre conscience de l’importance de leur apport dans nos œuvres caritatives. Ceci, sans oublier le support qu’elles apportent tant à la génération qui les a précédée, leurs vieux parents, qu’aux générations suivantes, celles de leurs enfants et petits-enfants.
Parmi les 10% plus actifs et créateurs, on cite souvent des grands noms comme Freud, Jung, Picasso, Michel-Ange, Verdi, Tolstoï, Victor Hugo; tout récemment, Edgar Morin, 98 ans, qui vient de publier un livre électronique Festival d’incertitudes. Le Québec connaît aussi nombre de personnes très âgées qui ont fait leur marque. Le sociologue Guy Rocher, entendu récemment sur nos ondes, encore actif et semblant en pleine forme à 95 ans, l’écrivaine Antonine Maillet, 90 ans, qui vient de publier Lettres de mon phare. Elle dit adorer parler à des gens âgés. «Ils ont des souvenirs à raconter», la journaliste et dramaturge Janette Bertrand, 95 ans très active elle aussi, qui vient de mettre la population féminine à l’écriture. Bravo! Tout ceci, pour ne nommer que ceux-là. Un documentaire nous présentait en 2011 des octogénaires hommes et femmes qui parlaient d’abondance de leur passion pour leur travail, et le cinéaste Fernand Dansereau nous a offert une trilogie sur la vieillesse, dont Le vieil âge et le rire, L’érotisme et le vieil âge et, à l’âge de 91 ans, Le vieil âge et l’espérance.

«Il se dégage une impression de vitalité, une attitude fondamentalement optimiste en même temps qu’une grande curiosité intellectuelle des personnes adaptées de façon créatrice. Elles ont des projets, veulent encore apprendre, exercer leur mémoire » (Leclerc, et Poulin, 1985) .

Même si la pandémie fait ressortir la grande vulnérabilité des personnes âgées, surtout de celles qui vivent en institution, il est primordial de ne pas perdre de vue ces données. On parle ici d’un effet de halo, c’est-à-dire, de perceptions biaisées par rapport à la réalité, perceptions que risquent de partager tant la population en général que les personnes de ces tranches d’âge.

«Plusieurs études font également état de stéréotypes, d’images négatives et de fausses conceptions de la vieillesse chez la plupart des jeunes et des adultes de nos sociétés nord-américaines » (Leclerc et Poulain, 1985).

Ces stéréotypes se reflétant automatiquement sur la façon de transiger tant avec les plus vulnérables d’entre nous qu’avec l’ensemble des 60 ans et plus, il devient crucial d’aborder et d’observer le grand âge sous des angles nouveaux car ces stéréotypes se retrouvent non seulement dans l’attitude des intervenants et de la population en général, mais aussi chez ceux qui ont le pouvoir de financer l’aide nécessaire au grand âge en perte d’autonomie Quant à la majorité des autres, soit 90 % des personnes de 60 ans et plus, âgées, ces stéréotypes reliés à leur âge se répercute malheureusement sur leur perception d’elles-mêmes.
De plus, ces stéréotypes reliés au grand âge ont un impact indéniable sur l’ensemble de la société qui se prive par le fait même d’un apport important de 90% de sa population de 60 ans et plus.
Le discours officiel fausse la perspective sur la réalité du grand âge.
Comme le souligne Betty Friedan dans son livre La revanche du troisième Age (1993), le discours officiel sur la vieillesse ne parle que de couches, de pertes de toutes sortes, de la maladie d’Alzheimer, ainsi que des coûts engendrés par la société pour ce groupe d’âge.
Ces biais manifestes chez ceux qui font autorité et assument des responsabilités dans le domaine ne peut que se répercuter sur l’imaginaire collectif, qui ne voit que les carences du grand âge, faussant toute perspective sur la réalité de cette étape de la vie.

«Favorisant ainsi une philosophie de prise en charge qui a ouvert la voie à une attitude paternaliste où l’expert sait mieux que la personne âgée ce dont elle aura besoin, écrit le sociologue Richard Lefrançois (2004).

Sait-on qu’au-delà de 60 ans, nous n’existions que très peu jusqu’à tout récemment dans les études sur le développement de la personnalité?
Un psychologue québécois qui s’est intéressé à la notion de concept de soi a découvert qu’il n’y avait pas d’échelles sur le développement de ce concept chez les personnes de plus de 60 ans. En d’autres mots, entre 60 et 100 ans, ou bien nous avions cessé d’exister, ou bien il ne se passait rien dans nos têtes. Il a publié La restructuration des perceptions de soi chez les personnes âgées de 60 à 100 ans.

Pour cet auteur, « Le concept de soi est essentiellement dynamique et changeant; il s’organise en un tout cohérent où les perceptions de soi sont hiérarchisées en termes de degré d’importance les unes par rapport aux autres et cette réorganisation évolue durant toute la vie par différenciations progressives, associables à des étapes ou stades de développement.» (L’Écuyer, 1992).

-2-Les renforts annoncés ou qu’adviendra-t-il au personnel soignant qui transige avec des problématiques lourdes?

Les renforts actuels étant surnuméraires, ils risquent d’être temporaires. Il est important de se demander ce qui adviendra du personnel soignant une fois la crise passée. On aura sans doute augmenté les salaires, mais, question qui y est reliée, se sera-t-on suffisamment préoccupés des répercussion psychologiques sur ces soignants et soignantes qui transigent quotidiennement avec les problématiques lourdes que représentent la maladie et la mort? On en parle maintenant qu’il y a crise, des articles sortent dans les médias autour de ce que ces personnes vivent comme horreurs, mais jusqu’ici, ceux et celles qu’on nomme «nos anges gardiens» ont été passablement ignorés.
Dans les mesures annoncées, on n’entend malheureusement pas parler de la dimension de support psychologique offert au personnel. Bien que dans l’immédiat l’urgence veut qu’on vise à enrayer l’hécatombe, ce support au niveau affectif n’a, de toute vraisemblance, pas beaucoup existé jusqu’à maintenant. Les médias offrent une superbe tribune à ces «anges gardiens» ces temps-ci, ce qui est fort heureux, mais qu’adviendra-t-il après?

Un support moral et psychologique est indispensable
Ce type de support est indispensable comme un certain nombre de données de recherche le confirment.
Les soignants et soignantes des centres d’hébergements long terme sont constamment confrontés à des phénomènes de déchéance et de fin de vie. Par un effet de miroir, ils sont indéfectiblement renvoyés à leur propre fin, image que le commun des mortels s’efforce d’oublier le plus possible de toutes façons. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien en effet que les pouvoirs publics ont si fréquemment détourné la tête lorsque la thématique des besoins du grand âge en perte d’autonomie leur était présentée.
L’urgence actuelle face à un virus qui a mis l’humanité à genoux oblige à enfin regarder du côté des plus vulnérables d’entre nous, ceux qui ont trop souvent été entassés dans des endroits vétustes alors qu’on préférait fermer les yeux sur leur sort.
En France, les informations nous présentent des psychologues assignés dans tous les modules de ces soins pour malades atteints du virus. Ces psychologues parlent de la nécessité d’être constamment présents et à l’écoute du personnel. L’Espagne, de son côté, nous montre des groupes de soignants-es où l’expression des émotions vécues, colère, angoisse, frustrations, etc, peuvent être partagées dans une atmosphère d’entraide et de support relationnel.

Nombre d’auteurs se sont penchés sur la vulnérabilité des personnes qui transigent avec des problématiques lourdes. Celles capables d’empathie et celles dont la vie professionnelle les confronte de façon répétée à des expériences traumatiques ou douloureuses chez leurs clients. M.S. Cerny (1995) parle du soignant ou de la soignante héroïques. Elle ajoute : « Soigner se paie».
L’ensemble des recherches dans trois secteurs de la psychologie, en psycho-traumatologie, ainsi que celles portant sur l’empathie et sur l’épuisement professionnel, contribue à éclairer la problématique de ce qu’on désigne comme le syndrome de la fatigue de compassion, celle qui s’ajoute ici à la fatigue physique indéniable que ces personnes vivent sur une base quotidienne. (Gagnon Corbeil, 1999).
La crise actuelle évoque une période de guerre. Quand «nos anges gardiens» reviendront de cette guerre, ils, elles, auront besoin d’oreilles et de tribunes pour se raconter. Boris Cyrulnic, qui a publié de nombreux écrits sur le traumatisme et la résilience, insiste sur ce besoin de faire le récit, celui qui sera entendu et reçu, et qui est la façon de devenir maître de l’expérience traumatique.

Pour les postes à combler dans l’avenir, les augmentations de salaires seront nécessaires mais insuffisantes.
Il y a de nombreux postes qui, pour l’instant semblent comblés. Si on veut y garder par la suite ceux et celles qui y trouveront un milieu de vie nourrissant, il y a un ensemble de conditions de travail à rencontrer. À défaut de quoi on risque d’assister à la désertion qui a sévi récemment.
La pandémie a fait ressortir le grand instinct d’entraide inscrit au cœur des humains. Voilà pourquoi il est essentiel d’offrir à ces intervenants le support de groupe de pairs indispensable pour faire face à la misère humaine. Ils ont besoin aussi d’une atmosphère de travail harmonieuse, ainsi que d’un soutien adéquat de la part de la société.
Ce soutien relationnel s’opère dans des liens de proximité, liens en antagonisme total avec les super structures administratives impersonnelles dont le Québec semble avoir le secret. Idéalement, il y aurait intérêt à s’efforcer de créer des milieux qui respectent au mieux les limites de ces intervenants. Car, comment exiger que le personnel respecte cette clientèle vulnérable si eux-mêmes ne sont pas respectés dans leur travail et comme personnes?

Le détachement moral, symptôme d’un milieu de travail inadéquat
Il semble que la seule façon de survivre dans certains milieux de travail soit trop souvent le détachement moral et psychologique. C’est du moins l’hypothèse qu’un certain nombre de consultations en psychothérapie ou de formation à des groupes d’intervenants nous amène à formuler.
Si les conditions énoncées plus haut ne sont pas respectées, on risque en effet de rencontrer un élément systémique identifié par les recherches, celui où le personnel peut être tellement surchargé et se sentir tellement isolé dans ce qu’il vit, qu’il développe une belle indifférence, un détachement qui lui évite peut-être de sombrer trop vite, mais qui a un impact sur la qualité des interventions.

À titre de conclusion.

Au plus fort de la crise au printemps 2020, notre Premier Ministre nous avait confié dans un point de presse qu’il avait honte comme Québécois de la façon dont on avait traité nos aînés vulnérables jusqu’à maintenant.
Une fois que la crise sera passée et que les cordons de la bourse nationale devront se resserrer à nouveau, si le soutien non seulement financier et technique, mais aussi psychologique et social n’y est pas, le risque sera grand qu’on retourne aux anciennes pratiques où la qualité des soins sera remisée dans le tiroir aux oubliettes, alors qu’une sur-médication colmatera les différences et besoins spécifiques de chacune de ces personnes souffrantes ou en fin de vie.
Au-delà d’un financement adéquat, il est tout aussi important de modifier totalement l’approche qui semble avoir prévalu dans trop d’endroits où peu d’attention était accordée aux personnes qui soignent.

L’importance des politiques sociales au niveau gouvernemental
Les recherches parlent de la nécessité absolue d’une prévention primaire pour prévenir l’épuisement au travail et la désertion des milieux de soins. C’est celle qui se situe au niveau des politiques sociales, celle qui requiert cette fois-ci une réflexion collective et politique sur l’approche au grand âge malade.
De plus, le phénomène de la vieillesse en perte d’autonomie a besoin d’être repensé en amont si on veut que les sociétés puissent se regarder dans le miroir sans trop de honte. Ceci, d’autant plus qu’avec les progrès de la médecine, l’espérance de vie ira en augmentant.
D’un point de vue strictement économique, les gouvernements ont intérêt à comprendre que les dépenses à titre préventif consacrées à l’éducation et au développement des capacités des personnes âgées auront un effet bénéfique non seulement sur les aînés eux-mêmes, mais sur l’ensemble de la société. On parle ici d’une approche psycho-préventive par opposition à une approche exclusivement médico-curative, qui est celle qui a prévalu jusqu’à maintenant.

Il suffit d’augmenter de quelques centièmes la proportion des personnes âgées qui n’ont recours qu’occasionnellement aux services médico-sociaux pour que les dépenses de santé publiques consacrées à cette couche de la population diminuent de manière significative au cours des prochaines années (Leclerc, Lefrançois et Poulin, 1992).

Le progrès des connaissances faisant en sorte que la proportion des personnes âgées ira en augmentant, on ne peut ignorer l’aspect économique de ces prévisions statistiques.

Un rôle spécifique dévolu aux personnes âgées.
S’il est important qu’en dépit de limites physiologiques, les personnes âgées se perçoivent pour ce qu’elles sont majoritairement, il en va de même pour l’intérêt de la société dans son ensemble.
D’un point de vue humain et culturel, les personnes âgées ont un rôle de transmission de l’histoire, de l’expérience et de perspectives humanistes aux générations qui les suivent. On dit que les jeunes générations ont accès à un très large éventail de connaissances horizontales : par l’internet et autres moyens numériques, ils peuvent être en lien avec les derniers fins fonds de la planète. Par contre, ils ont aussi besoin d’avoir accès à une culture précieuse pour eux qui porte sur une dimension fondamentale de leur être, celle du sens à donner à leur vie. On parle d’une culture de transmission verticale des valeurs, celle que leurs ainés ont les capacités de leur léguer par la qualité des relations qu’ils créent avec eux.

Un système de support professionnel adéquat sur une base continue
Quant aux soignants et soignantes qui sont témoins au quotidien des naufrages, des misères de la vieillesse et de la mort qui s’ensuit, une formation préalable suivie d’un encadrement et d’un support psychologique appropriés, le tout offert sur une base continue constituent les conditions incontournables pour étayer le fameux principe du respect de la personne dont notre PM parlait dans son point de presse.
Une réflexion sur les malaises et les besoins de la vieillesse en perte d’autonomie requiert une perspective et une approche pluridisciplinaires où la dimension affective, tant celle des soignants que celles des soignés, est prise en compte.
On semble miser sur les maisons des aînés du futur comme remède à la situation. Elles ne sauraient tenir lieu à elles seules de présence affective auprès des personnes qui y finissent leur vie et de ceux et celles qui veillent à leur bien- être.
Par ailleurs, si le grand âge est vulnérable, il demeure que 90% des personnes âgées possèdent une autonomie qu’il est important de ne pas perdre de vue. De voir à préserver cette autonomie est tout à l’avantage de la société dans son ensemble.
Pour les personnes en perte d’autonomie, une stratégie de soutien à domicile, concret et affectif, qui permettrait de maintenir la personne aînée dans son environnement social quotidien, ne serait-elle pas préférable à tout « placement », chaque fois que cela s’avère possible? Solution plus humaine et certainement plus économique pour le système de santé, solution aussi qui serait sans doute celle privilégiée par plusieurs personnes à condition d’avoir une présence aidante ainsi qu’un soutien responsable et bien coordonné en provenance des institutions publiques.

Chaque société, chaque civilisation possède une philosophie qui lui est propre dans sa vision du grand âge.
Le Dalaï Lama répétait sans cesse : « Presence is healing». La présence en elle-même est soignante. En plus, elle ne coûte pas des millions et présente l’immense avantage de prendre soin des intervenants eux-mêmes. Le Big Pharma comme on le nomme y ferait moins d’argent, mais tous, grands malades comme soignants et soignantes, vivraient dans une atmosphère plus sereine et plus humaine cette étape de la fin qui fait partie de la vie.

Janine Gagnon Corbeil
Psychologue et octogénaire

Recherches et écrits consultés
FRIEDAN, B (1993), The Fountain of Age, New York, Simon & Schuster.
GAGNON CORBEIL, J. (1999) La fatigue de compassion chez les intervenants qui transigent avec la violence familiale et conjugale, Dans : Jacques Broué et Clément Guèvremont, Éditeurs, Intervenir auprès des conjoints violents. Montréal, les Éditions Saint-Martin.
GAGNON CORBEIL, J. (1994). Être thérapeute et vieillir. Processus de dégénérescence ou de maturation? Revue québécoise de Gestalt, Vol. 1 # 3, 113-129. Montréal, les Éditions de l’AQG.
L’ECUYER, R., (1992), La restructuration des perceptions de soi chez les personnes âgées de 60 à 100 ans, Colloque de l’association québécoise de gérontologie.
LECLERC, G., POULIN, N., 1985, Profil d’actualisation des personnes âgées “participantes”, Colloque sur la recherche en gérontologie, 53ième congrès annuel de l’ACFAS, Université du Québec à Chicoutimi.
LECLERC, G., LEFRANÇOIS, R., POULIN, N., 1992, Vieillissement actualisé et santé, Rapport-Synthèse, GRASPA, Université de Sherbrooke.
LEFRANÇOIS, R. (2004), Les nouvelles frontières de l’âge. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
PERLS,L. (1993),Vivre à la frontière, Montréal, Les Éditions du Reflet.
MASLOW, A. (1954), Motivation and Personality. New York, Harper & Brothers.
ROGERS, C. (1942), Counseling and Psychotherapy. New Concepts in Practice. Cambridge, Houghton Mifflin Company.